Les odeurs alimentaires perçues durant la phase pré-ingestive participent à réguler la prise alimentaire : telle est la conclusion d’une série de travaux menés chez la souris, qui ont permis de caractériser un nouveau circuit neuronal olfactif impliqué dans la satiété.
La prise alimentaire chez l’animal est finement régulée grâce à l’intégration par le cerveau de signaux homéostatiques d’une part, environnementaux d’autre part. Les signaux alimentaires détectés dans l’environnement, qu’ils soient visuels, auditifs – pensez à Pavlov – ou olfactifs, sont connus pour déclencher un certain nombre de réponses physiologiques préparatoires (sécrétion de salive, de sucs gastriques, d’insuline…) avant toute prise alimentaire, sous contrôle cérébral (on parle de phase céphalique). Les travaux de recherche des dix dernières années, y compris chez l’Homme, montrent que les signaux alimentaires perçus dans l’environnement – avant l’ingestion – participeraient non seulement aux réponses physiologiques préparatoires, mais aussi au processus de formation de la satiété. De quoi battre en brèche la vision antérieure selon laquelle la satiété et donc le contrôle de la prise alimentaire résulteraient essentiellement de mécanismes post-ingestifs et de signaux sur les réserves énergétiques de l’organisme. Dans ce contexte, des chercheurs ont apporté une nouvelle pierre à la compréhension des mécanismes de régulation pré-ingestifs, en explorant spécifiquement les effets des odeurs alimentaires sur la prise alimentaire.
Cartographier les régions cérébrales qui répondent aux odeurs alimentaires
Chez des souris mâles, ils ont d’abord identifié les zones cérébrales et les circuits neuronaux activés par les odeurs de nourriture (et pas par les odeurs non alimentaires) : le septum médian (SM), et plus particulièrement les neurones glutaminergiques VGLUT21 de cette zone. Ces neurones connaissent une activation marquée chez les souris quand on leur présente leur nourriture habituelle, ou sa seule odeur, puis sont inhibés de façon durable pendant la phase ingestive. Contrairement aux populations de neurones intervenant dans la régulation post-ingestive (ex. neurones POMC ou AgRP), l’activation des neurones VGLUT2 est observée quel que soit l’état de faim/satiété des animaux. Une autre série d’expériences montre que les neurones VGLUT2 du septum médian se trouvent sous le contrôle amont direct d’une population de neurones du bulbe olfactif (BO), les cellules mitrales et cellules tuftées. En revanche, les projections neuronales des neurones VGLUT2 (effets aval) n’ont pas été étudiées ici.
Un effet anorexigène du bulbe olfactif au septum médian
Les chercheurs ont ensuite exploré in vivo les effets physiologiques de l’activation des neurones VGLUT2 sous l’effet des odeurs alimentaires. Pour cela, ils ont artificiellement stimulé la voie dite OB→SM (i.e. allant du bulbe olfactif au septum médian) à différentes périodes et sur différentes durées. Résultat ? Une stimulation d’une dizaine de minutes au cours de la phase pré-ingestive conduisait à une réduction de la prise alimentaire des animaux au cours de la période ingestive (quantité ingérée au cours des 3 premières heures réduite de 24 % par rapport aux animaux témoins sans stimulation de la voie OB→SM). L’activation artificielle de la voie OB→SM au cours de la période ingestive n’avait en revanche aucun effet, suggérant son action spécifique avant la prise alimentaire sous l’effet des odeurs.
Les chercheurs interprètent ce mécanisme comme une possible stratégie évolutive permettant de réduire le temps passé par les animaux à se nourrir afin de limiter leur exposition aux prédateurs. Autre piste évoquée : limiter les ingestas par des signaux précoces permettrait de minimiser les perturbations métaboliques qui résulteraient d’apports trop importants (ex. glycémie ou réserves adipeuses trop élevée) et le « coût » physiologique nécessaire à l’organisme pour le retour à un état d’homéostasie.
… non retrouvé chez les souris obèses
Enfin, compte tenu des désordres olfactifs associés à l’obésité documentés par ailleurs, les chercheurs ont testé le même protocole chez des souris obèses : dans ce cas, l’activation de la voie OB→SM ne réduisait pas la prise alimentaire des animaux, suggérant une altération de ce mécanisme de régulation anticipée de la satiété en cas d’obésité.
Source : Bulk J, Schmehr JN, Ackel, T et al. A food-sensitive olfactory circuit drives anticipatory satiety. Nat Metab 7, 1246–1265 (2025). https://doi.org/10.1038/s42255-025-01301-1.
1 Pour Vesicular Glutamate Transporter 2, neurones qui expriment le transporteur vésiculaire du glutamate 2