Faut-il durcir les recommandations alimentaires nationales et internationales ? Pour Marco Springmann, expert de l’étude des systèmes alimentaires, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : tant sur le plan sanitaire qu’environnemental, les directives actuelles sont insuffisantes pour améliorer la santé des populations et atteindre les objectifs de durabilité fixés à l’échelle mondiale.
La majorité des pays édictent des recommandations alimentaires dans le cadre de leur politique nutritionnelle tandis que les autres se réfèrent à celles de l’OMS et/ou de la FAO. Depuis quelques années, la problématique de durabilité s’ajoute à cette approche nutritionnelle. Ces recommandations doivent donc désormais poursuivre un double objectif : nourrir sainement une population mondiale grandissante, tout en préservant l’environnement. Dans ce contexte, Marco Springmann, chercheur à l’Université d’Oxford spécialiste de l’étude des systèmes alimentaires et membre de la Commission EAT-Lancet1, a réalisé avec son équipe une étude de modélisation publiée dans le BMJ. Sa conclusion ? Qu’il s’agisse de santé des populations ou de la planète, les recommandations alimentaires des gouvernements et des instances internationales manquent d’ambition.
Une étude de modélisation sur 85 pays
L’objectif de cette étude était d’analyser les répercussions sanitaires et environnementales de l’adoption des recommandations alimentaires nationales. Pour ce faire, les chercheurs ont d’abord mis au point une méthode permettant de traduire quantitativement les recommandations alimentaires essentiellement qualitatives de 85 pays. Ils ont ensuite analysé conjointement un large ensemble d’indicateurs sanitaires et environnementaux : risques de décès dus aux maladies chroniques, empreintes environnementales en termes d’émissions de gaz à effet de serre, d’utilisation d’eau et de terres cultivées et d’épandage d’engrais.
Les effets sanitaires et environnementaux de l’adoption des recommandations des 85 pays étudiés ont été comparés à ceux obtenus après adoption des recommandations alimentaires de l’OMS et de la Commission EAT-Lancet (incluant davantage la notion de durabilité), puis aux objectifs mondiaux fixés en matière de santé et d’environnement (Programme d’action mondial sur les maladies non transmissibles, Accord de Paris sur le climat, Objectifs de développement durable et Objectifs d’Aichi pour la biodiversité).
De faibles répercussions sur les plans sanitaires et environnementaux
Sur le plan de la santé, cette modélisation indique que l’adoption de comportements alimentaires respectant les recommandations nationales conduirait à une réduction de 15 % en moyenne de la mortalité prématurée due aux maladies non transmissibles ; un bénéfice que les auteurs estiment modéré. Même constat au niveau environnemental : même si certaines recommandations nationales entraîneraient une réduction des impacts environnementaux, les effets se révèlent variables selon les régions et les indicateurs considérés. Leur adoption engendrerait par exemple une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 13 % en moyenne, mais avec des variations allant de – 34 % (i.e. à une augmentation) à 35 % selon les pays. Quant à l’adoption des recommandations de l’OMS, ses effets ne s’avèrent guère meilleurs.
Viande et produits laitiers sur la sellette
En revanche, lorsque les recommandations de la Commission EAT-Lancet sont appliquées, les auteurs quantifient une réduction de 34 % de la mortalité prématurée, une diminution plus de trois fois plus importante des émissions de gaz à effet de serre et l’atteinte globale des objectifs sanitaires et environnementaux mondiaux. Pour expliquer cette différence d’effet, les chercheurs expliquent que le régime alimentaire prôné par la Commission EAT-Lancet se distingue des autres recommandations par des objectifs particulièrement ambitieux en matière de consommation de viande rouge et de produits laitiers. En particulier, les piètres performances environnementales des recommandations nationales sont attribuées à l’objectif de consommation de produits laitiers qu’elles préconisent : leur atteinte engendrerait, entre autres, plus des trois quarts des augmentations des émissions de gaz à effet de serre découlant de l’adoption généralisée de l’ensemble des recommandations. Et les auteurs de rappeler l’existence d’alternatives végétales à même de couvrir les besoins nutritionnels.
Des recommandations plus ambitieuses mais aussi plus claires
Ces conclusions doivent néanmoins être prises avec précautions : il s’agit d’une modélisation sujette aux faiblesses courantes de l’épidémiologie nutritionnelle et source d’incertitudes du fait, à la fois, de la traduction de recommandations qualitatives en objectifs quantitatifs et de l’indisponibilité de certaines données (par exemple concernant la consommation de sodium). Au-delà des résultats de leur étude, les auteurs soulignent ainsi la nécessité de clarifier les repères de consommation. Que la finalité soit sanitaire ou environnementale (l’idéal étant de conjuguer les deux), l’amélioration des habitudes alimentaires mondiales devrait passer par l’édiction de recommandations plus spécifiques comprenant, d’une part, des repères de consommation minimale pour les céréales complètes, les oléagineux et les légumineuses (comme cela est déjà le cas pour les fruits et légumes) et, d’autre part, des limites maximales plus ambitieuses pour les produits d’origine animale (viandes rouges et transformées et produits laitiers). Enfin, les chercheurs estiment que le développement de recommandations alimentaires claires alliant à la fois santé et environnement constitue la première étape pour encourager l’adoption de régimes sains et durables au niveau des populations ; une étape cruciale qui n’est pas sans nécessiter « un soutien politique clair et cohérent ».
Mots clés : recommandations alimentaires, EAT-Lancet, durabilité, systèmes alimentaires, modélisation.
Source : Marco Springmann, Luke Spajic, Michael A Clark, Joseph Poore, Anna Herforth, Patrick Webb, Mike Rayner, Peter Scarborough. The healthiness and sustainability of national and global food based dietary guidelines: modelling study. BMJ, 2020; m2322
1 Comité international d’experts dont le rapport paru en 2019 propose une définition d’un régime alimentaire sain et durable.