Il y a 40 ans, l’insuffisance pondérale était deux fois plus répandue dans le monde que l’obésité. Aujourd’hui, la prévalence de l’obésité dépasse celle de l’insuffisance pondérale. Si l’augmentation de la prévalence de l’obésité ralentit dans les pays à hauts revenus depuis 2000, l’accélération du phénomène dans les pays de plus faibles revenus est préoccupante, d’autant plus que l’insuffisance pondérale demeure un problème majeur de santé publique dans ces pays soumis à un « double fardeau ».
Un adulte sur cinq dans le monde sera obèse en 2025 si la propagation de l’épidémie d’obésité ne ralentit pas. La NCD Risk Factor Collaboration (NCD-RisC), réseau international d’experts pour l’étude des maladies non transmissibles, vient de publier dans le Lancet une analyse de l’évolution de l’indice de masse corporelle (IMC) à travers le monde entre 1975 et 2014. Les données utilisées portent sur 19,2 millions d’adultes de plus de 18 ans issus de 186 pays parmi les 200 où des données étaient disponibles. Seules ont été prises en compte les enquêtes représentatives de populations au niveau national (49 % des données), régional (14 %) ou communautaire (37 %) où le poids et la taille étaient mesurés, et non pas auto-rapportés par les sujets. Les BMI moyens et les prévalences des différentes catégories de corpulence (insuffisance pondérale, surpoids et obésité) ont été ajustés pour l’âge.
A l’échelle mondiale, l’IMC moyen est passé, chez les hommes, de 21,7 kg/m² (IC95% = 21,3-22,1) en 1975 à 24,2 kg/m² (24,0-24,4) en 2014, et, chez les femmes, de 22,1 kg/m² (21,7-22,5) à 24,4 kg/m² (24,2-24,6). Les auteurs ont estimé que l’augmentation d’IMC constatée, de l’ordre de 0,60 kg/m² tous les 10 ans, était équivalente à un gain de poids de 1,5 kg par décennie. Les moyennes mondiales cachent d’importantes disparités régionales : l’IMC moyen varie de 21,4 kg/m² pour les hommes et 21,8 kg/m² pour les femmes en Asie du sud à 29,2 kg/m² pour les hommes et 32,2 kg/m² pour les femmes en Polynésie et Micronésie. En 2014, l’IMC moyen des femmes est supérieur à celui des hommes dans la majorité des régions du monde, exception faite des pays européens et des pays anglophones ou asiatiques à haut niveau de revenus.
Les augmentations d’IMC les plus marquées (c’est-à-dire supérieures à 1,00 kg/m² par décennie) ont été observées dans les Pays anglo-saxons à hauts revenus pour les hommes et les femmes, mais aussi en Amérique centrale, Amérique latine, Polynésie et Micronésie, Asie du Sud-Est, et dans les Caraïbes pour les femmes. Les auteurs ont en outre comparé les vitesses d’augmentation de l’IMC avant et après 2000, date à laquelle la prise de conscience du phénomène d’épidémie d’obésité est apparue. Résultat : la vitesse de progression de l’IMC diminue après 2000 dans la plupart des pays à hauts revenus et en Océanie (ainsi qu’en Amérique latine et dans les Caraïbes pour les femmes uniquement). De façon préoccupante, une augmentation plus rapide a en revanche été observée après 2000 en Europe centrale et de l’Est, ainsi qu’en Asie de l’Est et du Sud-Est.
Les auteurs ont par ailleurs estimé les prévalences des différentes catégories d’IMC, de l’insuffisance pondérale (IMC < 18,5 kg/m²) à l’obésité morbide (IMC >= 40 kg/m²). Une diminution de la prévalence de l’insuffisance pondérale a été observée entre 1975 et 2014 : de 13,8 % (IC95% = 10,5-17,4 %) à 8,8 % (7,4-10,3) chez les hommes et de 14,6 % (11,6-17,9) à 9,7 % (8,3-11,1%) chez les femmes. En dépit de cette forte diminution, elle reste encore supérieure à 23% chez les hommes et les femmes en Asie du sud et de plus de 12% en Afrique centrale et orientale. Sur cette même période, la prévalence de l’obésité (IMC >= 30 kg/m²) a quant à elle augmenté de façon plus marquée, dépassant l’actuelle prévalence de l’insuffisance pondérale à l’échelle mondiale : de 3,2 % (IC95% = 2,4-4,1 %) à 10,8 % (9,7-12,0) chez les hommes et de 6,4 % (5,1-7,8) à 14,9 % (13,6-16,1%) chez les femmes. Dans certains pays, l’obésité touche aujourd’hui plus de 30 % des adultes (Pays anglo-saxons à hauts revenus notamment), et atteint plus de 50 % dans certaines populations (femmes de Polynésie et Micronésie).
Alors que les pays les plus concernés par l’insuffisance pondérale en 1975 le demeuraient toujours en 2014 (Inde, Chine, Indonésie, Pakistan, Bangladesh…), une redistribution géographique des pays les plus frappés par l’obésité a eu lieu : les pays émergents (Chine, Brésil, Inde, Mexique…) ont rejoint les Etats-Unis en tête des pays comptant le plus de personnes obèses.
Les auteurs ont enfin estimé la probabilité de parvenir à l’objectif mondial proposé par l’Organisation Mondiale de la Santé, à savoir stopper d’ici 2025 l’augmentation de l’obésité à son niveau de 2010. Cette probabilité est estimée à moins de 10 % pour la très grande majorité des pays. Ainsi, si les politiques de santé publique ne parviennent pas à enrayer le phénomène, 18 % des hommes et 21% des femmes seront obèses en 2025.
Source : Trends in adult body-mass index in 200 countries from 1975 to 2014: a pooled analysis of 1698 population-based measurement studies with 19·2 million participants. NCD Risk Factor Collaboration (NCD-RisC). Lancet. 2016 Apr 2;387(10026):1377-96.