Dans un essai randomisé contrôlé, un régime riche en fibres reflétant l’alimentation de l’ère pré-industrielle a permis de rétablir certaines fonctionnalités métaboliques perdues du microbiote intestinal, expliquant vraisemblablement les bénéfices cardiométaboliques observés chez les sujets.
Hygiène, antibiotiques, régimes appauvris en fibres… l’industrialisation de nos modes de vie a été lourde de conséquences pour le microbiote intestinal. Or les altérations ainsi subies par le microbiote pourraient en partie expliquer l’augmentation des maladies non transmissibles frappant les pays occidentalisés. Dans ce contexte, l’intérêt d’une restauration du microbiote vers un état « ancestral » pré-industriel fait l’objet de débats dans la communauté scientifique : est-ce seulement possible ? peut-on en attendre des bénéfices pour la santé, dans l’environnement industrialisé actuel ? Dans le cadre d’une collaboration internationale, des chercheurs ont exploré ces questions à travers un essai randomisé contrôlé mené chez 30 adultes canadiens publié dans Cell.
Etablir une stratégie de restauration du microbiote
Les chercheurs ont d’abord mis au point un régime riche en fibres reflétant les caractéristiques d’une alimentation pré-industrielle, à partir d’aliments communément consommés dans les tribus traditionnelles de Papouasie-Nouvelle Guinée : haricots en grain, patates douces, riz, pois, topinambours, etc. Les sujets devaient consommer ce régime, ou leur régime habituel, pendant 3 semaines ; puis les conditions étaient inversées après une période de wash out (étude en cross-over). Le régime pré-industriel conduisait à des apports en fibres doublés par rapport au régime habituel. En parallèle, les chercheurs ont voulu voir s’il était possible de rétablir la présence, dans le microbiote des sujets, d’une espèce bactérienne caractéristique et dominante dans le microbiote des sujets de pays non industrialisés (ex. Papouasie-Nouvelle Guinée ) mais rarement retrouvée dans les microbiotes de sujets vivant dans des pays industrialisés : la souche Limosilactobacillus reuteri PB-W1. Celle-ci a donc été administrée oralement à certains sujets à la dose de 10 milliards de cellules au début de chaque phase du régime (régime préindustriel ou régime habituel).
Composition, diversité, stabilité… quels effets sur le microbiote ?
Si le régime « pré-industriel » permettait d’augmenter l’abondance de L. reuteri PB-W1 dans les jours suivant l’administration, l’implantation n’était que transitoire car la bactérie devenait rapidement indétectable (sauf chez un sujet). Autrement dit, le régime pré-industriel ne permettait pas l’installation durable de L. reuteri dans le microbiote. En revanche, ce régime induisait des modifications dans les communautés bactériennes présentes, avec une augmentation globale d’espèces généralement associées à la santé (des genres Bifidobacterium, Faecalibacterium, etc.) et une diminution d’espèces pro-inflammatoires telles que Bilophila wadsworthia. Toutefois, derrière ces tendances générales, des différences inter-individuelles notables étaient observées : par exemple, les changements de l’abondance relative de Bifidobacterium induits par le régime variaient de -12 % à + 760 % par rapport au début de l’étude, selon les sujets.
Le régime « pré-industriel » entraînait également une réduction de la diversité du microbiote, un résultat qui a surpris les chercheurs mais qui pourrait s’expliquer par la disparition d’espèces peu adaptées aux nouvelles conditions écologiques générées par le régime « préindustriel » (pH faible, fortes teneurs en acides gras à chaîne courte…). En dépit de la perte de diversité, le régime préindustriel conduisait à une augmentation de la stabilité du microbiote et à une augmentation des interactions entres espèces, deux paramètres généralement considérés comme des marqueurs d’un microbiote en bonne santé.
Le rétablissement de propriétés métaboliques essentielles du microbiote
Surtout, des propriétés métaboliques du microbiote classiquement affectées par le mode de vie industrialisé et associées aux maladies non transmissibles étaient rétablies par le régime pré industriel : capacité de fermentation et production d’acides gras à chaîne courte augmentées ; potentiel de dégradation du mucus intestinal réduit….
Or ces effets du régime sur les fonctionnalités du microbiote étaient associés aux nombreux bénéfices cardiométaboliques observés chez les sujets tels que la perte de poids (alors que la ration était calculée pour couvrir les besoins énergétiques des sujets : la perte de poids pourrait alors être liée à la biodisponibilité réduite des macronutriments dans le régime riche en fibres), ainsi qu’une réduction du cholestérol LDL, de la glycémie à jeun, et d’un marqueur inflammatoire (protéine C réactive ou CRP). Des modélisations prenant comme donnée d’entrée les modifications induites dans la composition du microbiote et de ses fonctionnalités sous l’effet du régime permettait de prédire efficacement les effets cardiométaboliques obtenus.
Les redondances fonctionnelles, garantes des bénéfices des régimes végétaux
Ces résultats suggèrent que les bénéfices santé obtenus sous l’effet du régime résultent en grande partie des effets du régime sur le microbiote. Mais comment expliquer alors des effets cardiométaboliques relativement constants et cohérents pour l’ensemble des individus de l’essai, malgré les différences de réponses individuelles marquées en termes de composition du microbiote ? Les chercheurs avancent l’hypothèse des redondances fonctionnelles entre les différentes espèces microbiennes, (i.e. plusieurs espèces peuvent déployer les voies métaboliques conduisant aux effets santé obtenus). Un mécanisme essentiel pour expliquer les bénéfices « universels » des régimes riches en végétaux et le bienfondé de recommandations alimentaires en ce sens, sans besoin de personnalisation malgré des microbiotes variés des individus.
Source : Li F, Armet AM, Korpela K, Liu J, Quevedo RM, Asnicar F, Seethaler B, Rusnak TBS, Cole JL, Zhang Z, Zhao S, Wang X, Gagnon A, Deehan EC, Mota JF, Bakal JA, Greiner R, Knights D, Segata N, Bischoff SC, Mereu L, Haqq AM, Field CJ, Li L, Prado CM, Walter J. Cardiometabolic benefits of a non-industrialized-type diet are linked to gut microbiome modulation. Cell. 2025 Jan 20:S0092-8674(24)01477-6. doi: 10.1016/j.cell.2024.12.034.