Dans l’ombre des effets de la leptine sécrétée par le tissu adipeux, le rôle de la masse maigre dans la régulation de l’apport énergétique serait tout aussi important, et ce indépendamment de son effet sur la dépense énergétique. C’est le paradigme développé dans une revue réunissant les éléments de la littérature à l’appui du caractère homéostatique de la masse maigre.
C’est une analyse à contre-courant que Dullo et al. proposent dans une revue publiée dans le Eur J Clin Nut au sujet des effets de la masse maigre dans la régulation de la prise énergétique. Car c’est à la masse grasse que l’on confère d’habitude ce rôle, surtout depuis la découverte de la leptine dans les années 1990. L’attention portée à cette hormone produite par le tissu adipeux aurait participé à occulter l’implication de la masse maigre, malgré des arguments qui s’accumulent et qui ne datent pas d’hier.
Le rôle indirect (ou passif) de la masse maigre sur l’apport d’énergie est connu depuis longtemps : la masse maigre est un déterminant de la dépense de repos, et contribue à augmenter l’apport alimentaire en augmentant la dépense d’énergie.
L’originalité de l’article réside dans une ré-analyse des données de la littérature suggérant un rôle direct (actif) sur l’apport d’énergie. Elle se base essentiellement sur l’expérience de sous-alimentation du Minnesota de Keys et al. (1950). Il s’agit d’une étude américaine réalisée au sortir de la seconde guerre mondiale, pendant laquelle des hommes en bonne santé ont accepté une privation partielle de nourriture (apport énergétique ≈ 1500 kcal/j) pendant 24 semaines. Les sujets ont ensuite été suivis pendant la phase de réalimentation, d’abord contrôlée puis ad libitum. L’examen de la dynamique de reprise du poids a montré que l’hyperphagie des sujets persistait jusqu’au retour de la masse maigre à son niveau antérieur. Ainsi l’hyperphagie compensatrice après restriction ne peut être expliquée par une théorie lipostatique isolée (i.e. régulation de la prise alimentaire par les seules réserves adipeuses), et le système de contrôle lié à la masse maigre s’accompagne in fine d’une augmentation de la masse grasse.
Ce phénomène pourrait expliquer la reprise de poids souvent observée paradoxalement après un régime amaigrissant, se traduisant par un niveau de masse grasse supérieur à la valeur avant régime. De même, le comportement sédentaire, en diminuant la masse maigre, pourrait entraîner une augmentation de l’apport énergétique visant à restaurer le tissu maigre, et augmentant la masse grasse de façon concomitante.
Une expérimentation récente réalisée chez la souris (Hao et al., 2016) propose un modèle qui illustre le caractère homéostatique de la masse maigre : lorsque la masse maigre est réduite par une restriction calorique avant un by-pass gastrique, l’apport alimentaire et le poids corporel sont paradoxalement augmentés pour restaurer rapidement la masse maigre.
Si les signaux permettant à la masse maigre de moduler le comportement alimentaire ne sont pas connus, ces résultats ont des implications importantes dans la prise en charge de l’obésité. Ils contribuent à expliquer la résistance à l’amaigrissement observée après chirurgie bariatrique notamment chez des sujets aux antécédents d’amaigrissement rapide. Ils confirment la nécessité de restaurer ou de conserver la masse maigre lors d’un amaigrissement, et donc l’importance de l’activité physique.
Source : Passive and active roles of fat-free mass in the control of energy intake and body composition regulation. Dulloo AG et al. Eur J Clin Nutr. 2016 Dec 14. doi: 10.1038/ejcn.2016.256