Comment expliquer la consommation accrue d’aliments de forte densité calorique en cas de manque de sommeil ? Une équipe néerlandaise tente d’élucider les mécanismes impliqués dans une étude chez la femme.
Alors que la durée moyenne de sommeil décline dans les populations occidentales, le manque de sommeil est suspecté d’être l’un des responsables de la surconsommation d’aliments de haute densité énergétique. Par quels mécanismes pourrait-il agir pour modifier le comportement alimentaire de la sorte ?
Récompense alimentaire et contrôle exécutif : deux hypothèses testées…
L’influence du manque de sommeil sur l’augmentation de la sensibilité du système cérébral de récompense alimentaire d’une part et la diminution du contrôle de la prise alimentaire par les fonctions exécutives (« auto-contrôle ») d’autre part sont les deux hypothèses testées par des chercheurs néerlandais, dans une étude menée auprès de 60 femmes adultes de poids normal.
Celles-ci ont été soumises – dans un ordre aléatoire – à deux conditions : sommeil normal ou durée de sommeil raccourcie de 6 heures. Dans chacune de ces conditions expérimentales, il était demandé aux participantes de réaliser différentes tâches. Elles devaient d’abord noter leur appréciation d’aliments de faible (LE, pour low energy) ou forte (HE pour high energy) densité énergétique présentés à l’écran. Le score obtenu à cette tâche était utilisé comme un indicateur de la sensibilité du système de récompense alimentaire.
Dans une seconde tâche, les participantes devaient indiquer quels aliments elles préfèreraient consommer entre une option HE ou LE présentées à l’écran, selon des paires créant différents types de conflits entre les dimensions de plaisir et de santé : a/ conflit faisant intervenir l’auto-contrôle, où un aliment HE était présenté aux côtés d’un aliment LE moins apprécié ; b/ conflit de nature hédonique, où l’aliment HE et l’aliment LE présentés étaient également appréciés ; c/ absence de conflit, avec la présentation d’un aliment LE préféré à l’aliment HE. Les chercheurs s’attendaient à ce que le manque de sommeil augmente la sélection d’aliments HE tout particulièrement dans la situation de conflit faisant intervenir l’auto-contrôle (situation a).
Pour chaque paire présentée, les chercheurs enregistraient en outre les mouvements oculaires de va-et-vient entre les options LE et HE, rendant compte du niveau de conflit intérieur inconscient des participantes. Enfin, sous prétexte d’une étude de la sensibilité des participantes aux saveurs des aliments, étaient aussi mesurées les calories effectivement ingérées lors de la présentation de différents aliments de snacking HE ou LE.
… et invalidées
Les résultats battent en brèche les hypothèses des chercheurs : non, le manque de sommeil n’augmente pas l’appréciation des aliments HE, et n’augmente donc pas la sensibilité du système de récompense alimentaire. En revanche, les chercheurs observent que les nuits plus courtes créent une diminution de l’appréciation des aliments LE.
L’hypothèse d’un auto-contrôle perturbé n’est pas davantage validée : si le manque de sommeil augmente bel et bien la sélection à l’écran d’aliments HE, cela est indépendant de la nature du conflit simulé par les chercheurs. La sélection accrue d’aliments HE en cas de manque de sommeil ne passerait donc pas par un défaut d’auto-contrôle. À noter toutefois, d’après le suivi des mouvements oculaires, le niveau de conflit inconsciemment perçu serait réduit en cas de privation de sommeil.
Enfin, les auteurs confirment que la prise alimentaire effective des participantes est influencée par le manque de sommeil : il conduit à une augmentation de la quantité consommée d’aliments HE uniquement.
De nouvelles hypothèses posées
Ainsi, d’après les résultats de cette étude (dont la généralisation à d’autres populations et situations de manque de sommeil reste à établir), l’augmentation de la consommation d’aliments HE en cas de manque de sommeil pourrait résulter 1/ d’une diminution de l’attrait pour les aliments LE (plus que d’une augmentation de l’attrait pour les aliments HE) ; d’une réduction de la capacité cérébrale à déceler les conflits pouvant existant entre différentes dimensions de l’aliment (plaisir versus santé), plutôt que d’une baisse de l’auto-contrôle alimentaire.
Source : Jeroen S. Benjamins, Ignace T.C. Hooge, Christian Benedict, Paul A.M. Smeets, Laura N. van der Laan. The influence of acute partial sleep deprivation on liking, choosing and consuming high- and low-energy foods. Food Quality and Preference. Volume 88, 2021, 104074. https://doi.org/10.1016/j.foodqual.2020.104074.