Une équipe de Yale fait un grand pas en avant dans la compréhension des relations entre régime alimentaire, microbiote intestinal et obésité. La production par le microbiote d’un acide gras à chaîne courte, l’acétate (2 carbones), constituerait la pierre angulaire des régulations métaboliques de la prise alimentaire et du stockage énergétique, sous le contrôle du système nerveux parasympathique.
Si de nombreuses études ont décrit des associations entre le profil du microbiote et le risque d’obésité, les mécanismes sous-jacents sont encore peu explorés. Une équipe de l’Université de Yale s’est penchée sur la question à travers une série d’expériences rapportées dans Nature. Les chercheurs ont d’abord constaté une production et des concentrations accrues d’acétate dans le côlon et le cerveau de rats recevant un régime riche en lipides (HFD, high fat diet) par rapport à des rats recevant un régime standard. Différentes expériences in vivo (lavage du contenu colique, administration d’antibiotiques, etc.), conduisant à une diminution du métabolisme de l’acétate, ont suggéré que le microbiote intestinal était à l’origine de cette production accrue.
Les chercheurs ont observé par ailleurs que la sécrétion d’insuline était augmentée chez des souris recevant le HFD – maintenues en hyperglycémie via une perfusion de glucose – par rapport aux souris recevant le régime normal. Cette différence pourrait-elle être liée à l’augmentation de la production d’acétate suite au HFD ? Oui, d’après les résultats obtenus : une perfusion intra-artérielle d’acétate à des rats recevant un régime normal mime les effets du HFD sur la sécrétion d’insuline. De plus, l’administration d’antibiotiques aux rats recevant le HFD réduit la réponse insulinémique de 70 %, alors que celle-ci est restaurée par une perfusion ultérieure d’acétate chez ces animaux. Enfin, la transplantation du contenu colique fécal des rats recevant un HFD chez les rats recevant le régime standard, et vice versa, modifie la production d’acétate et la sécrétion d’insuline des animaux.
Les chercheurs ont souhaité approfondir les mécanismes par lesquels l’acétate augmentait la réponse insulinémique. En l’absence d’effet de l’acétate sur un isolat d’îlots pancréatiques, un effet direct sur les cellules β a rapidement été écarté. En revanche, le système nerveux parasympathique (SNP) étant connu pour stimuler la sécrétion d’insuline, les chercheurs ont mesuré les concentrations plasmatiques de gastrine, un marqueur de l’activité du SNP, en réponse à une perfusion d’acétate. Celle-ci est alors multipliée par trois par rapport à son niveau basal, et l’augmentation de la concentration cérébrale en acétate confirme sa capacité à traverser la barrière hémato-encéphalique. De plus, une vagotomie (section du nerf vague du SNP) divise par quatre la sécrétion d’insuline consécutive à la perfusion d’acétate; de même pour l’administration d’atropine, un inhibiteur du SNC. Ainsi, les chercheurs démontrent que les effets de l’acétate sur la sécrétion d’insuline sont médiés par l’activation du SNP.
Les chercheurs se sont ensuite intéressés aux effets métaboliques potentiels à long terme d’une production accrue d’acétate. Pour cela, ils ont administré à des rats recevant un régime standard une perfusion intra-gastrique d’acétate (20 μmol / kg / min) pendant 10 jours, mimant ainsi l’augmentation de la production d’acétate par le microbiote sous l’effet d’un HFD. En plus des augmentations de sécrétion d’insuline et de gastrine observées, la perfusion d’acétate a multiplié par deux l’apport énergétique des animaux, entraînant une prise de poids. Les concentrations plasmatiques de ghréline ont été multipliées par trois. Une insulino-résistance est également apparue chez ces animaux.
Les chercheurs ont enfin voulu confirmer définitivement l’implication du microbiote dans la production d’acétate chez les animaux recevant un HFD. Ils ont constaté que des souris axéniques (i.e. dépourvues de microbiote) présentaient des concentrations coliques, plasmatiques et tissulaires en acétate négligeables par rapport à des souris conventionnelles. Chez ces dernières, le régime HFD entraînait une production accrue d’acétate, mesurée par l’incorporation de carbone 13 (13C) issu du bicarbonate marqué du régime. Les rongeurs ne possédant pas le système enzymatique nécessaire à la conversion du bicarbonate en acétate, ceci démontre que le microbiote est bien à l’origine du 13C-acétate produit. Les souris non axéniques recevant le HFD présentaient des concentrations de gastrine et de ghréline respectivement multipliées par deux et par dix par rapport aux souris axéniques, ainsi que des concentrations hépatiques et musculaires en triglycérides respectivement multipliées par deux et par cinq.
Source : Acetate mediates a microbiome-brain-β-cell axis to promote metabolic syndrome. Perry RJ et al. Nature. 2016 Jun 8;534(7606):213-7.