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Article – En régulant la biodisponibilité, nos gènes façonnent nos besoins nutritionnels

La biodisponibilité des vitamines et autres composés liposolubles s’avère très variable d’un individu à l’autre. Parmi les facteurs explicatifs, les polymorphismes génétiques joueraient un rôle majeur. Tour d’horizon du sujet proposé par une revue hautement didactique.Nous ne sommes pas tous égaux en termes de besoins nutritionnels et cette grande variabilité pourrait en partie trouver son origine dans des différences de biodisponibilité des nutriments selon les individus. C’est la conclusion d’un état de l’art publié dans Annual Review of Nutrition consacré spécifiquement aux vitamines (E, D, A) et substances liposolubles (lycopène, lutéine, phytostérols).

Le polymorphisme génétique module la biodisponibilité
Mais tout d’abord, à quoi correspond la biodisponibilité ? Pour une substance donnée, celle-ci est définie comme la proportion de la quantité ingérée qui atteint la circulation ou le site d’action. Outre des facteurs individuels (âge, sexe, statut nutritionnel…), la biodisponibilité serait aussi sous l’influence de notre génome : il existe en effet dans l’ADN des séquences qui varient d’un individu à l’autre par un seul nucléotide (une guanine, une cytosine, une adénine ou une thymine). On parle de SNP pour single nucleotide polymorphism, ou polymorphisme mononucléotidique. L’effet isolé d’un seul SNP sur la biodisponibilité d’une substance se révèle souvent modeste, mais combinés entre eux, les SNPs expliqueraient une partie importante de la variabilité interindividuelle: à travers une série de travaux, les auteurs ont identifié 28 SNP répartis dans 11 gènes significativement associés aux variations individuelles de biodisponibilité de la vitamine E ; 17 SNPs répartis dans 13 gènes pour la vitamine D ; 25 SNPs sur 12 gènes pour le béta-carotène ; etc. Les gènes comportant ces SNPS se révèlent généralement impliqués dans la régulation de l’absorption intestinale, du transport ou du métabolisme de ces composés.

Des recherches encore balbutiantes
Ce sont initialement les recherches médicales visant à identifier les mutations à l’origine d’une maladie, la sitostérolémie, provoquée par une accumulation de phytostérols (stérols végétaux présentant des similarités de structure avec le cholestérol), qui ont ouvert la voie aux découvertes sur le rôle des SNPs dans l’absorption des composés liposolubles. Si les recherches sur les autres composés sont en plein essor, elles n’en sont aujourd’hui encore qu’à leur début ; les résultats décrits ci-dessus doivent être considérés comme préliminaires, insistent les auteurs de la revue. Notamment, d’autres formes de variations génétiques que les SNPs pourraient aussi être impliquées, par exemple les modifications d’origine épigénétique. Des polymorphismes caractérisés par certains allèles mineurs (< 1 % de la population) ont jusque là été écartés des études alors qu’ils pourraient présenter un grand intérêt pour expliquer les variations de biodisponibilité (les phénotypes désavantageux vis-à-vis de la sélection – e.g. faible biodisponibilité – étant justement peu fréquents dans la population).

Vers une nutrition personnalisée ?
Quel intérêt pourrait présenter, à terme, l’identification des facteurs génétiques modulant la biodisponibilité ? Proposer des recommandations nutritionnelles personnalisées, suggèrent les auteurs, bien que le chemin soit encore long avant cette perspective. Et de prendre pour exemple la lutte contre la carence en vitamine A dans certaines régions du monde : la consommation de carotènes provitaminiques, qui fait partie des recommandations de l’OMS, pourrait se révéler inefficace pour certaines populations compte tenu de leur faible capacité de conversion, elle-même sous le contrôle de SNPs ; des politiques prônant la consommation d’aliments ou de compléments riches en vitamine A préformée s’avèreraient ainsi plus utiles dans ce cas.

Source : Borel P, Desmarchelier C. Bioavailability of Fat-Soluble Vitamins and Phytochemicals in Humans: Effects of Genetic Variation. Annu Rev Nutr. 2018 Aug 21;38:69-96.